À quelques pas du Château Royal de Blois et de l’église Saint-Vincent, se trouve la manufacture de tapisseries Langlois. Carole Redais, restauratrice, est à la tête de cet atelier depuis bientôt quatre ans. Rencontre avec cette passionnée.
Quand on parle de tapisseries, nous pensons de suite aux grandes tentures exposées dans les monuments historiques telles que La Dame à la licorne au Musée de Cluny ou encore La tenture de l’Apocalypse au Château d’Angers qui est considérée comme le plus grand ensemble de tapisseries médiévales conservé au monde. La tapisserie, dont l’histoire en Occident remonte à la fin du Moyen Âge, a toujours été utilisée au fil des siècles et elle possède plusieurs fonctions. Elle est d’abord un meuble, que l’on tend pour isoler les pièces du froid et protéger des courants d’air, dans les intérieurs nobles, mais également dans les églises. En plus de cet aspect utilitaire, les tapisseries ont un caractère décoratif et les commanditaires prêtent une attention particulière aux sujets des tentures qu’ils achètent. La tapisserie, très onéreuse, est également un produit de luxe et de prestige qui permet à son propriétaire d’affirmer son statut social.
Bien que précieuses, grand nombre de tapisseries n’ont pas survécu au temps et notamment à la Révolution pour les plus luxueuses et sont aujourd’hui en mauvais état. Trop longtemps exposées à la lumière, certaines tapisseries ont perdu leur éclat d’origine et leurs couleurs. Certaines, découpées par leurs propriétaires pour les adapter à leurs besoins, ont perdu leurs bordures tandis que d’autres ont été ruinées par les insectes. Il est donc nécessaire de les restaurer, une mission des plus délicates que mène Carole Redais, au quotidien. À la tête de la manufacture de tapisseries Langlois depuis 2015, véritable institution fondée à Blois en 1865, Carole poursuit ce savoir-faire. Diplômée de l’Ecole Nationale d’Art Décoratif à Aubusson et d’un brevet des Métiers d’Art en restauration de tapisseries anciennes, elle a débuté sa carrière en région parisienne dans les ateliers de la maison Chevalier Conservation puis dans les ateliers Bobins avant de travailler avec M. Langlois en 2012. De bien précieuses tapisseries sont passées entre ses mains expertes, comme celles du Château de Fontainebleau, du Musée du Louvre ou encore du Château de Chambord.
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Nous la retrouvons dans son atelier, concentrée, au chevet d’une tapisserie provenant du Clos Lucé. Le lieu est chaleureux, à l’image de ces tapisseries soigneusement posées sur des tables en attente ou en cours de restauration. Depuis l’atelier, la vue sur l’impressionnante façade des Loges du Château royal de Blois est inspirante. Des étoffes aux multiples couleurs et motifs sont posées ici et là. Des fils de laine, de soie, des aiguilles et autres matériaux nécessaires au travail de Carole et de son assistante sont dispersés dans l’atelier. Notre regard s’attarde sur Carole qui, minutieusement, redonne vie à cette tapisserie qui se révèle être en très mauvais état. Nous apprenons que la tapisserie d’origine date du XVe siècle environ. Restaurée à plusieurs reprises au XXe siècle, ces interventions l’ont grandement fragilisé et ne manquent pas de donner du fil à retordre à Carole.
Il s’agit d’une sérigraphie qui fait partie d’un ensemble de tapisseries provenant du Clos Lucé. C’est une tapisserie qui a été coupée, il manque des morceaux qu’on a reconstitué. Il y a eu une tentative de reconstitution avec des sérigraphies. Ça c’est un morceau d’une sérigraphie donc c’est une toile peinte tout simplement et elle est en très mauvais état. Ici, on est sur de la conservation. On va essayer de maintenir tout ce qui part en petits morceaux. Je pense qu’elle aurait pu être en bien meilleur état si les interventions précédentes avaient été faites autrement. J’essaie de rattraper ce qui a été fait.
Conserver en état et faire perdurer dans le temps sont le fondement du métier de restaurateur. La restauration de tapisserie est un travail minutieux, on pourrait même dire un travail de fourmi où la patience est reine. Carole peut passer une centaine d’heures à travailler sur des tapisseries, selon leur état. Un grand nombre de tapisseries anciennes souffrent de problème de tensions. À force d’être suspendues, elles s’abîment et des déchirures apparaissent. Carole va reprendre ces trous et déchirures à l’aide d’une aiguille afin de reconstituer le fil trop usé. Les méthodes utilisées sont les mêmes depuis des siècles.
On essaie toujours de garder le même matériau utilisé dans la tapisserie. Si c’est de la laine, on utilise de la laine, si c’est de la soie, on prend de la soie ou du coton quand c’est le cas. Aujourd’hui, on a du mal à se fournir, mais encore ici, on a de la chance, car on a tellement de laines anciennes. Ça fait longtemps que la manufacture existe, on trouve toujours la laine qu’on a besoin. C’est moins facile dans d’autres ateliers.
On peut dire qu’il y a un vrai patrimoine ici ! Carole nous invite à jeter un œil dans un des placards. Surprise, il regorge de laines aux multiples couleurs ! Le stock est assuré pour encore de nombreuses années, c’est certain.
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« On travaille aussi avec un atelier artisanal qui est à côté d’Aubusson et qui travaille pratiquement avec tous les ateliers de tapisserie. On leur envoie un échantillon de laine avec la couleur qu’on veut et il nous la donne. »
Pour chaque tapisserie, les étapes sont toujours les mêmes : « On commence toujours par un diagnostic de la pièce, un constat d’état. En général, quand elles arrivent en atelier, on va commencer par les dédoubler. Elles ont une doublure qui est collée sur le dos. »
Une des étapes importantes est notamment le nettoyage et le dépoussiérage qui vont permettre de retrouver un peu l’éclat des teintures en désencrassant les fils avec des outils spécialement conçus pour cet usage et dans des bains avec des aérosols adaptés. C’est l’opération préalable à tous travaux de restauration sur une tapisserie afin de poursuivre sur le travail de restauration et ensuite, sur la partie doublage et raccrochage. Après des heures et des heures passées entre les mains de Carole, les tapisseries retrouvent tout leur éclat. Elles dévoilent de nouvelles couleurs qui avaient terni avec le temps et sont prêtes à s’exposer de nouveau aux regards.
Ce qui est le cas pour la tapisserie prochainement présentée au Château du Clos Lucé, provenant du musée du Vatican à Rome, qui a récemment été restaurée. Cette copie brodée de fil d’or et tissée en Flandres fut offerte par le roi François Ier au pape Clément VII. Elle reprend le thème de la Cène et témoigne de l’admiration des Rois de France pour Léonard de Vinci. Pour la première fois depuis le XVIe siècle, elle est exposée en dehors des Musées du Vatican et sera présentée au Château du Clos Lucé dans le cadre de l’exposition « La Cène de Léonard de Vinci pour François Ier, un chef-d’oeuvre en or et soie. » L’occasion d’admirer ce chef-d’œuvre et de rendre hommage à ce savoir-faire.
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Photographies : François Christophe
La tapisserie au fil des siècles
L’histoire de la tapisserie occidentale commence à la fin du Moyen Âge mais la technique est connue depuis la haute Antiquité. C’est au XIVe siècle qu’un art de la tapisserie se développe véritablement avec l’apparition de grandes tapisseries à scènes narratives formant des tentures historiées. Le goût pour la tapisserie gagne alors rapidement la noblesse européenne. Tendues sur les murs, les tapisseries isolent des courants d’air tout en formant d’agréables décors qui témoignent de la richesse de leurs propriétaires.
À l’aube du XVIe siècle, l’art de la tapisserie est renouvelé avec l’ajout de nouveaux motifs provenant d’Italie. À l’entassement des personnages dans des scènes très denses, on préfère désormais les compositions amples et aérées, mettant en scène des personnages monumentaux.
Au cours du XVIIe siècle, la tapisserie connaît un nouvel âge d’or, notamment en France. À cette époque, le pouvoir royal veut concurrencer la suprématie de la production flamande. En 1662, Colbert ministre de Louis XIV fonde la manufacture des Gobelins, et deux ans plus tard, celle de Beauvais, qui porteront la tapisserie française au plus haut degré de perfection.
Au XVIIIe siècle, les grandes tentures historiées passent de mode. Le goût est désormais aux intérieurs plus intimistes. Aux sujets historiques, les commanditaires préfèrent désormais les scènes champêtres et les paysages exotiques, plus décoratifs.
À l’époque contemporaine, malgré l’industrialisation, la tapisserie reste un art vivant. Les grandes commandes de l’État et de l’Église permettent aux manufactures des Gobelins et de Beauvais de maintenir leur activité. Après la Seconde Guerre mondiale, l’art de la tapisserie connaît un nouvel élan, notamment sous l’impulsion d’artiste comme Jean Lurçat qui contribue à perpétuer cet art ancestral à sa manière. Des tentures aux accents tridimensionnels, abstraits et lyriques font leur apparition.
Aujourd’hui, les manufactures des Gobelins et de Beauvais, toujours actives, entretiennent le savoir-faire traditionnel qu’elles mettent au service de la création contemporaine, tissant d’après les artistes majeurs de notre temps.
Source : La tapisserie française – du Moyen Âge à nos jours, éditions du Patrimoine
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