Lauranne Munk Koefoed est doreuse à la feuille. Elle restaure de nombreux objets anciens dans le respect des techniques traditionnelles. La touche finale de son métier est de recouvrir d’or des objets d’art et de culte afin de leur redonner leur éclat d’antan. Rencontre avec cette jeune restauratrice dans son bel atelier situé à Chançay, en Indre-et-Loire.
L’art de la dorure demande patience et précision. Cette technique, connue depuis l’Antiquité, permet de rehausser des pièces précieuses en les recouvrant d’or. La dorure à la feuille pratiquée par Lauranne est la plus ancienne.
En cette journée ensoleillée d’automne, l’atelier de dorure à la feuille de Lauranne est lumineux et si accueillant. Ça brille dans les moindres recoins telle la caverne d’Ali Baba. Les trésors sont nombreux par ici. Des miroirs et cadres du XIXe siècle côtoient des baromètres plus anciens, minutieusement alignés. Des pièces d’exception ont été restaurées dans cet atelier. « L’année dernière, j’ai restauré tout un lot de reliquaires et de baromètres pour une église du limousin. » Les rayons du soleil se reflètent sur la dorure des nombreux objets qui attendent de passer entre les mains expertes de Lauranne. C’est à la suite d’une maîtrise en histoire de l’art et d’un CAP de dorure à la feuille qu’elle ouvre son atelier, d’abord en Limousin et depuis trois ans à Chançay, près d’Amboise.
Mon objectif était de trouver un métier qui alliait l’histoire de l’art et une activité manuelle. La restauration s’est imposée. C’est le seul métier où on a le droit de toucher les œuvres.
Au centre de la pièce trône une imposante console, une copie du XIXe siècle, dont la restauration est sur le point de s’achever. « La partie principale de mon travail est la restauration. Je restaure tout ce qui est bois et stuc doré. Ça peut être du mobilier comme des fauteuils et des consoles. Il y a aussi beaucoup de cadres, de miroirs, de statuaires et des baromètres, car je restaure aussi les mécanismes, je les remets en route. » Posé sur un meuble, un nuancier attire le regard. Il se compose de plusieurs teintes de feuilles. Le sujet principal du métier de Lauranne est la feuille d’or, mais on apprend qu’elle peut aussi réaliser de la dorure à la feuille de cuivre, d’argent ou d’or blanc, notamment pour des artistes contemporains ou pour des dorures modernes. Lauranne est un vrai couteau-suisse qui propose également de la dorure sur métal et qui travaille, quand elle a le temps, sur ses propres créations. Mais le temps est précieux pour Lauranne qui gère seule l’atelier où le délai est de quatre à six mois, selon les pièces.
L’atmosphère qui se dégage de l’atelier est apaisante. Serait-ce lié aux jeux de lumière du soleil sur les dorures ? On ne sait plus où donner de la tête ! L’atelier de Lauranne est un vrai musée où on trouve des objets variés allant du XVIIe au XIXe siècle. Ces objets, en attente d’être restaurés, appartiennent aussi bien à des particuliers qu’à des collectivités ou encore à des professionnels. « J’ai beaucoup de particuliers, mais pas que. Ça peut être aussi des antiquaires, des mairies pour la restauration d’objets dans les églises et donc les DRAC (Direction Régionale des Affaires Culturelles), les châteaux privés ou publics. »
Lauranne nous conduit vers son poste de travail où un impressionnant miroir de style Empire attend d’être recouvert d’or. Nous avons le droit à une démonstration de dorure à la feuille. « La pose de la feuille, c’est la partie rapide. Il y a beaucoup d’étapes de préparation. Il y a une quinzaine de couches de préparation du bois avant de pouvoir poser la feuille. » Au préalable, un travail minutieux et complexe a été mené par Lauranne qui s’est attaquée au nettoyage du cadre avec des solvants et des produits adaptés. « J’ai bouché tous les petits éclats en les remplaçant par un mélange. Je travaille de manière traditionnelle, j’utilise un genre de pâte qui est un mélange de colle de peau de lapin et de blanc de medon, c’est une craie. Ça fait une petite pâte avec laquelle je vais venir boucher tous les manques, tous les éclats. C’est l’étape la plus longue. » C’est à la suite de la phase de ponçage que le travail de dorure peut débuter.
« Il y a toujours une base en bois sauf que dessus, on met une couche de jaune et deux couches de rouge. Et là, on va pouvoir commencer à poser la feuille. Toutes les parties qui sont rouges sont les parties que je vais redorer. En revanche, le reste va rester comme telle pour garder la patine d’origine. »
Tel un artiste avant de rentrer sur scène, Lauranne prépare méticuleusement son matériel. À porter de main, toute sorte de pinceaux et de l’eau, indispensable au travail de dorure. Lauranne nous montre un petit carnet contenant la précieuse matière, les feuilles d’or. En France, il ne reste plus qu’un seul batteur d’or, situé vers Thonon-les-Bains. « Que ce soit pour dorer un cadre ou pour dorer le dôme des Invalides, c’est toujours la même taille de feuille : elles font toujours 8 sur 8. » Soigneusement, elle fait glisser les feuilles d’or dans son coussin à dorure qui est, pour le doreur, l’équivalent de la palette du peintre. Quel spectacle que de voir ces feuilles tomber en cascade ! Pour mener à bien son travail, Lauranne incline le cadre du XIXe siècle placé devant elle. « J’attrape une feuille et j’essaie de la mettre à plat sans la déchirer. Puis je la coupe à la taille de la zone que je souhaite dorer. » Entre chaque feuille, elle vient frotter son pinceau sur sa joue afin de le graisser grâce au gras de la peau. « Je vais mouiller la surface à dorer et la feuille se place automatiquement là où il y a de l’eau. Avec l’écoulement de l’eau, elle va s’étendre toute seule. C’est ce qu’on appelle la dorure à la détrempe. Le fait de mouiller, ça vient sortir le collagène qu’il y a dans toutes les sous-couches et ça va permettre à la feuille de mieux accrocher. »
À la fin de la pause, une fois que les feuilles ont séché, Lauranne s’apprête à faire briller le bois. Pour cela, elle vient le polir à l’aide d’un outil adapté, la pierre d’agate. Encore une fois, rien est fait au hasard. Des règles sont à respecter, notamment sur ce type de cadre où des éléments bien particuliers doivent briller.
« Il va y avoir une patine pour uniformiser les dorures anciennes avec les parties que j’ai redorées. L’idée, c’est toujours de redorer a minima pour garder la patine du cadre. Je vais venir huiler pour me rapprocher de la dorure d’origine et éventuellement polir pour que ça fasse plus vrai. » Mais attention, les règles ne sont pas les mêmes pour les objets plus anciens et notamment classés monument historique.
« On peut restaurer sans redorer. C’est la question que l’on se pose quand on fait des travaux sur des monuments historiques. Souvent, on ne redore pas, on fait des retouches illusionnistes. En ce moment, on est dans les restaurations non-abusives. Là, quand on redore, on recouvre forcément de la dorure d’origine. Quelques fois en faisant des retouches avec des poudres d’or ou des choses comme ça, on est moins interventionniste et on peut respecter l’objet. Mais ça dépend pour qui on travaille. Quand on intervient sur des objets classés, il est parfois demandé de ne pas redorer. »
Après les soins apportés par Lauranne et la pause d’une vingtaine de feuilles d’or, le cadre Empire a retrouvé toute sa prestance d’origine. Il est fin prêt à retrouver son destinataire et à laisser sa place, à une autre pièce d’exception.
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Photographies : Caroline Gasch
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